Alors qu’on constate logiquement des écarts dans la proportion de population raccordable à la fibre selon les zones (au détriment des AMEL et des RIP), l’analyse de leurs dynamiques met en évidence un phénomène moins intuitif.
Une vitesse de déploiement en baisse
Alors que la complétude du réseau n’est pas achevée partout, le rythme de déploiement des zones très denses et des AMII a considérablement baissé depuis plus d’un an et demi… et en conséquence, la part de la population n’étant pas raccordable y atteint toujours 9 % et 13 % à la fin de 2022.
En effet, les opérateurs se sont généralement concentrés sur des déploiements qui sont techniquement simples (et donc plus rentables), en laissant de côté les cas les plus complexes (logements isolés ou nouveaux aménagements immobiliers, par exemple). Rendre raccordables les derniers locaux restants pourrait donc s’avérer beaucoup plus onéreux et nécessiter plus de temps… à un point tel que la couverture complète en fibre optique semble lointaine.
Des obligations différentes selon les zones
Les obligations de complétude ne sont toutefois pas les mêmes dans les différentes zones. Dans le cas des RIP, les collectivités territoriales ont la responsabilité politique, dans le cadre du Plan France Très Haut Débit, d’apporter la fibre optique dans leurs territoires d’ici fin 2025.
Dans les zones AMII, les opérateurs privés se sont engagés de manière contraignante à déployer la fibre. Plus précisément, Orange s’est engagé à rendre, dans 2 978 communes, 92 % des locaux raccordables et 8 % raccordables sur demande à fin 2020, et 100 % raccordables à fin 2022.
SFR s’est engagé à rendre, dans 641 communes, 92 % des locaux raccordables et 8 % raccordables sur demande à fin 2020.
Des engagements n’ont pas été respectés.
Au regard des manquements qu’elle a constatés, en mars 2022 l’Arcep a mis en demeure Orange de respecter son engagement de déploiement. Alors que cette décision est contestée par l’opérateur devant le Conseil d’État, Orange a également déposé, en février 2023, une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause le caractère contraignant de ses propres engagements (l’article L33-13 du Code des postes et des communications électroniques), ainsi que le pouvoir de sanction de l’Arcep. De son côté, le régulateur accuse Orange de chercher à gagner du temps en retardant la décision du Conseil d’État sur la mise en demeure.
En tout cas, le déploiement dans les zones concernées sera retardé.
Dans les zones AMEL, alors que les engagements des opérateurs varient selon les accords signés avec les collectivités territoriales, aucun de ceux qui sont arrivés à échéance n’a été respecté. Jusqu’à présent, l’Arcep n’a lancé aucune procédure de sanction.
10 accords portant sur des communes dans 13 départements ont été signés : Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Bouches-du-Rhône, Côte-d’Or, Landes, Eure-et-Loir, Lot-et-Garonne, Nièvre, Saône-et-Loire, Savoie, Deux-Sèvres, Vienne, Haute-Vienne.
L’inquiétude pour les zones très denses
La situation est également particulièrement inquiétante dans les zones très denses. Présumant que le déploiement serait suffisamment rentable pour inciter les opérateurs à déployer leurs réseaux, le régulateur n’a imposé aucune obligation de complétude. L’Arcep ne dispose donc d’aucun moyen coercitif pour garantir la couverture complète en fibre optique des zones très denses.
La carotte du cuivre
En l’état actuel, il semble que le seul dispositif susceptible d’inciter les opérateurs à compléter le déploiement de la fibre dans toutes les zones d’initiative privée, est la fermeture du réseau cuivre, qui est à l’horizon pour la fin de l’année 2030.
Selon le cadre réglementaire, ce réseau ne peut être fermé que dans une zone couverte à 100 % en fibre optique. En particulier Orange, qui détient le réseau cuivre historique, aurait donc un intérêt de faire avancer le déploiement de la fibre, pour pouvoir éviter les coûts de maintien de l’ancien réseau. Par ailleurs, il s’agirait d’une solution clairement insatisfaisante, car elle repousserait jusqu’à la fin de la décennie l’objectif du Plan France Très Haut Débit de fibrer tout le territoire d’ici fin 2025.
(Il est à noter au passage, que l’entretien du réseau cuivre connait de fréquents problèmes de maintenance et d’entretien. La société Orange semble à la peine pour entretenir le réseau historique et pour faire face aux frais engendrés.)
Oui, mais voilà, en zone urbaine très dense on est loin du 100% de raccordables …
En mars 2023, l’association regroupant les collectivités chargées du numérique, l’AVICCA, a fait état des difficultés liées au déploiement de la fibre optique dans les grandes villes françaises.
- Communes intégralement couvertes (ou presque) en fibre optique par les opérateurs privés en zone très denses : 0%
- Communes intégralement couvertes (ou presque) en fibre optique par les opérateurs privés en zone AMII : 11%
- Communes intégralement couvertes (ou presque) en fibre optique par les collectivités locales en zone d’initiative publique : 25%
La totalité des « grandes » villes est située en zone d’initiative privée et la plupart d’entre elles en zone très dense.
« Cela tombe bien, a indiqué l’AVICCA, si un opérateur privé veut vite fermer le cuivre dans les « grandes » villes, il peut vite y déployer lui-même les locaux non encore couverts en fibre optique ! Allez, allez, il faut vite se lancer, il ne reste que, oh, pas grand-chose » …, juste :
- Marseille : 109 545 locaux non raccordables
- Paris : 55 551 locaux non raccordables
- Toulouse : 39 347 locaux non raccordables
- Montpellier : 33 712 locaux non raccordables
- Lille : 27 951 locaux non raccordables
- Nantes : 27 737 locaux non raccordables
- Aix-en-Provence : 25 365 locaux non raccordables
- Strasbourg : 24 648 locaux non raccordables
- Nice : 21 580 locaux non raccordables
- Nancy : 21 145 locaux non raccordables
- Nîmes : 21 068 locaux non raccordables
- Clermont-Ferrand : 19 985 locaux non raccordables
- Bordeaux : 19 947 locaux non raccordables
- Lyon : 16 053 locaux non raccordables
- Cannes : 16 049 locaux non raccordables
- Toulon : 15 051 locaux non raccordables
- Rouen : 13 669 locaux non raccordables
- Perpignan : 13 657 locaux non raccordables
- Saint-Étienne : 13 344 locaux non raccordables
- Besançon : 12 564 locaux non raccordables
- Angers : 12 495 locaux non raccordables
- Le Havre : 12 422 locaux non raccordables
- Rennes : 11 375 locaux non raccordables
- Amiens : 10 108 locaux non raccordables »
On le sent bien, le déploiement intégral de la fibre et 100% de raccordables sur les territoires ne sera pas un « long réseau tranquille »! »
Le recours d’Orange auprès du conseil d’Etat rejeté
Début février 2023, la société Orange avait déposé un projet de question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil d’Etat contre le régulateur des télécoms au sujet de l’obligation de terminer l’équipement des zones AMII. Cette requête vient d’être rejetée en avril 2023 et le conseil constitutionnel n’examinera pas cette demande. La société Orange qui considérait que les objectifs du nombre de logements à raccorder à la fibre très haut débit avaient déjà été atteints, devra donc trouver une autre réponse face à la mise en demeure de l’ARCEP pour aboutir à 100% de locaux raccordables conformément aux engagements pris.
L’exercice est loin d’être accompli et dans de bonnes conditions pour des milliers d’abonnés…
Des réflexions sont en cours afin de définir un cadre accepté et partagé par tous les acteurs visant à la complétude du déploiement de la fibre sur tous les territoires. Au-delà des aspects techniques, il existe une dimension financière à cette question qui ne semble pas encore tranchée. Et de grandes manoeuvres sont en cours…
L’arrêt du cuivre et son remplacement par la fibre ne devra pas laisser des consommateurs en panne « sur le bord du réseau », ou simplement munis de dispositifs techniques palliatifs de piètre qualité, pour un « provisoire » qui pourra alors durer « un certain temps»!
Pour savoir où est prévue la fin du réseau cuivre, étape d’expérimentation
Cliquer sur la carte ci-dessous