Des dizaines de milliers de raccordements défaillants en 2022 !
Si 79,5 % des locaux étaient théoriquement raccordables au 31 décembre 2022, encore faut-il que les travaux du raccordement final soient faits correctement pour que les consommateurs disposent d’un accès réel à une connexion Internet en fibre optique.
De la théorie à la pratique
Des dizaines de milliers de consommateurs ont déjà dû constater, après avoir vérifié qu’ils sont en théorie bien éligibles à la fibre, et souscrit un abonnement auprès d’un opérateur, qu’ils ne peuvent en réalité pas être raccordés.
De nombreux problèmes viennent perturber la bonne marche du raccordement. Et même si l’on peut concenvoir que le déploiement d’une nouvelle infrastructure soit une affaire complexe, le nombre de raccordements en défaillance atteint un niveau inacceptable.
Une avalanche de litiges selon les professionnels confirmée par le médiateur des télécommunications
Dans une décision de décembre 2020, l’Arcep a imposé aux opérateurs d’infrastructures de publier une série d’indicateurs sur la qualité des raccordements. Une récente étude examinant ces indicateurs menée par l’AFUTTdévoile un taux de malfaçons du raccordement final de 11,7 % au troisième trimestre 2022, contre 4,2 % au deuxième trimestre.
L’ampleur des raccordements défectueux se reflète néanmoins dans les litiges traités par le Médiateur des communications électroniques. Alors qu’il est compétent pour la quasi-totalité des fournisseurs de services de communications électroniques (mobile, fixe, fibre) mais également pour d’autres services (télévisions payantes, services de télésurveillance, etc.), les problèmes techniques liés à la fibre constituaient le deuxième poste de demandes de médiation en 2022. La part des dossiers liés à la fibre (36 %) a plus que doublé depuis 2019 (15 %).
Le phénomène est confirmé par les professionnels. Entre 15 à 20 % des raccordements connaissent des problèmes techniques selon l’estimation de l’InfraNum, la fédération qui représente la filière des infrastructures numériques, de l’été 2022.
Les litiges signalés à l’UFC-Que Choisir dévoilent un réseau inachevé, des malfaçons techniques et un service client insuffisant
L’analyse globale des litiges montre que tous les grands opérateurs sont concernés.
Dans le cas d’Orange et de Bouygues, la part des litiges les concernant correspond approximativement à leurs parts de marché d’abonnements à la fibre. Dans notre échantillon, Free est sous-représenté avec une part des litiges inférieure à sa part de marché. En revanche, le nombre de litiges qui concernent SFR a une proportion supérieure à sa part de marché.
Concernant les différents types de litiges, trois familles principales ont été identifiées :
a. Un état technique du réseau qui rend le raccordement impossible:
– Le déploiement de la fibre inachevé jusqu’au logement du consommateur: un logement a été oublé, l’infrastructure publique ne permet pas le raccordement car elle est en mauvais état (le fourreau est écarsé, personen ne veut ouvrir le trottoir…). La complexité de la gestion du déploiement est telle que c’est sur l’abonné que repose parfois la démarche de résolution: appeller le FAI, identifier l’opérateur d’infrastructure, contacter le gestionnaire de voirie, …
– Un logement raccordable… sauf pour les fichiers des opérateurs qui refusent touteintervention: l’habitation est censée être éligible à la fibre mais le FAI ne la trouve pas dans sa base de données (logement référencé au mauvais numéro, dans une mauvaise rue, logement sans numéro, adresse introuvable, etc.). Par conséquent, il refuse de commander une intervention technique pour réaliser le raccordement!
– Des équipements inadaptés pour raccorder tout le voisinage: problème récurrent concernant le manque d’emplacements disponibles dans les points de mutualisation (l’armoire de raccordement) installés par l’opérateur d’infrastructure, soit parce qu’un nouveau branchement doit être activé, soit parce que l’armoire a été sousdimensionnée pour permettre un raccordement de tout le voisinage.
b. Des raccordements non fonctionnels, résultat de malfaçons pendant l’installation ;25– Les armoires laissées dans un état déplorable, ce qui empêche le raccordement. Parmi les litiges qui nous sont parvenus, il est fréquent que le point de mutualisation soit dans un état qui empêche son exploitation en raison d’actes de vandalisme et/ou de malfaçons. A titre illustratif, il existe des situations pour lesquelles les techniciens ne disposent pas des clés pour accéder aux armoires et forcent leur serrure ce qui facilite des actes de dégradations ultérieurs.
– Plus consternant encore, la qualité des travaux peut ne pas être au rendez-vous : câbles mal positionnés ou branchés dans le mauvais emplacement, fils arrachés, connecteurs abimés, utilisation de matériels inadaptés (câbles non réglementaires, par exemple), etc.
L’image suivante montre l’exemple d’un point de mutualisation dégradé, communément surnommé «plats de nouilles ».
– Des techniciens peu fiables: Il n’est pas rare que le nombre d’interventions inutiles atteigne entre trois et cinq opérations, mais dans certains cas extrêmes les consommateurs ont dû subir plus d’une dizaine d’interventions. En outre, nombreuses sont les situations où un rendez-vous n’est tout simplement pas honoré par le technicien, sans prévenir le consommateur. Derrière cette pratique déplorable, on peut craindre que certains sous-traitants aillent jusqu’à signaler automatiquement un « échec de raccordement » lorsqu’une fois arrivé sur place, ils constatent que l’installation sera particulièrement complexe et donc chronophage.
Enfin, comme si cela ne suffisait pas, il arrive même que les techniciens falsifient les comptes rendus d’intervention, y compris la signature du client pour faire croire qu’ils sont intervenus !
– Des travaux de raccordement bâclés qui dégradent la propriété des consommateurs. Et qui, en plus, ne permettent pas le raccordement dans certains cas.
c. Un service client défaillant.
– Les consommateurs doivent s’armer de patience face à un service client désorganisé: les consommateurs sont systématiquement mis en relation avec des conseillers différents, dans un contexte où le suivi de leur dossier est loin d’être satisfaisant. En conséquence, ils témoignent devoir réexpliquer à chaque fois leur problème.
Une autre pratique récurrente désagréable a été constatée. Elle consiste à ce que le conseiller client programme un rendez-vous téléphonique avec un expert technique qui ne rappellera jamais le consommateur.
Il faut noter que dans le cas d‘échec du raccordement, les consommateurs n’ont généralement plus de ligne de téléphone fixe fonctionnelle ce qui peut complexifier les échanges avec le service client. Dans certains cas, notamment quand le consommateur ne souhaite pas avoir de téléphone portable ou qu’il réside dans une zone blanche, il peut même être contraint de se déplacer pour appeler le service client de son opérateur.
– Des coûts importants subis par les consommateurs: pendant toute la durée de la panne, les FAI n’ont aucune obligation de cesser de facturer les consommateurs pour un service qu’ils sont incapables de fournir. Dès lors, comment s’étonner que pour les litiges qui nous ont été signalés, la durée moyenne de résolution du problème technique est de cinq mois. Dans certains cas extrêmes, cette durée peut atteindre plus d’un an et même jusqu’à deux ans à compter de… leur signalement à une association locale de l’UFC-Que Choisir ! En réalité, les délais de réparation réels sont donc probablement encore plus longs.
– Généralement des remboursements sous forme d’avoirs sur les factures ultérieures peuvent être accordées sur demande expresse des consommateurs: cette condition contractuelle est toutefois peu connue de ceux qui pourraient en bénéficier. En outre, au titre de gestes commerciaux, certains opérateurs mettent aussi une box 4G fixe à la disposition de leur client pendant la période de panne, mais celle-ci n’est souvent pas suffisante (notamment dans les zones blanches).
– Plus scandaleux encore, il existe des cas pour lesquels les consommateurs qui n’ont jamais eu accès à la fibre se retrouvent contraints de débourser des frais de résiliation de plusieurs centaines d’euros s’ils veulent rompre leur engagement auprès du FAI défaillant.
– En outre, certains opérateurs ne commercialisent plus les offres DSL pour des logements théoriquement raccordables à la fibre. Ainsi, quand un consommateur est privé dans la réalité de la fibre, il arrive qu’il ne puisse plus avoir accès à la technologie qu’il utilisait précédemment. En effet, même dans les situations où le technicien n’a pas arraché le câble en cuivre, et dans laquelle une connexion en DSL reste donc techniquement possible, les opérateurs refusent de rétablir cette connexion qui fonctionnait parfaitement avant la tentative de raccordement à la fibre. Au lieu d’une connexion Internet qui avait certes un débit inférieur à la fibre, mais qui était fonctionnelle et coûtait moins cher, le consommateur reste, pendant des mois, coincé avec une ligne fibre qui ne marche pas et lui coûte plus cher.