La mission d’information du Sénat sur la gestion durable de l’eau a rendu son rapport le 12 juillet 2023.
Son rapporteur, Hervé GILLE, sénateur de Gironde (Socialiste, écologiste et républicain) et Rémy POINTEREAU sénateur du Cher, Président de la mission, ont présenté les principales conclusions du rapport relatif à l’eau, au cours d’une conférence de presse.
« Nous devons avoir une véritable réflexion collective sur la gestion de l’eau » explique Hervé Gillé qui précise qu’il faut aujourd’hui « mettre en place des commissions locales de l’eau dans chaque sous bassin versant, pour avoir une véritable réflexion collective sur la gestion de l’eau, dans tous les territoires. »
La mission qui est au travail depuis le mois de février formule 53 propositions regroupées autour de 8 thèmes : la gouvernance de l’eau, l’amélioration des connaissances sur l’eau, le développement de la réutilisation des eaux usées traitées, l’exploitation des synergies entre eau et énergie, la performance des services eau et assainissement, ou encore la réforme du financement de l’eau.
2 000 communes en difficulté d’approvisionnement en eau potable
La mission a adopté à l’unanimité ce rapport qui « réclame de prendre à bras‑le‑ corps la question de l’eau ».
« 2 000 communes sont actuellement en difficulté sur la question de l’approvisionnement en eau, a précisé Rémy POINTEREAU, rappelant ainsi l’inquiétude des sénateurs face à des « projections à l’horizon 2050 qui annoncent :
– une augmentation de l’évapotranspiration,
– une plus grande variabilité saisonnière des précipitations,
– une diminution des débits des cours d’eau de 10 à 40 %,
– et un ralentissement de la recharge des nappes phréatiques de 10 à 25 %.
Des conflits d’usage de l’eau à venir et de plus en plus insolubles
La mission précise que selon les données liées à ces évolutions, et depuis les années 1990, on observe une diminution de 14 % de la ressource en eau renouvelable. Et pour la mission, « le réchauffement climatique risque indubitablement de provoquer des conflits d’usage de l’eau de plus en plus insolubles. »
Des besoins variés à satisfaire
Les volumes des prélèvements et la part d’eau consommée varient selon les usages note le rapport. Ainsi, en France, le refroidissement des centrales électriques représente plus de la moitié des prélèvements d’eau douce chaque année en France (51 %), mais la grande majorité de cette eau est rejetée dans le milieu. Si les volumes d’eau prélevés par l’agriculture ne dépassent généralement pas 10 % des volumes totaux précise la mission, (hors production électrique), ce secteur est la première activité consommatrice (57 %) avec une part importante non restituée aux milieux aquatiques note la mission sénatoriale.
Une consommation domestique stable
Après une hausse entre 1998 et 2004, puis une baisse entre 2005 et 2011, la consommation domestique moyenne d’eau potable est constante. Depuis 2012, elle est de l’ordre de 146 litres d’eau par jour et par habitant.
La nécessité d’une politique quantitative équilibrée
Selon les sénateurs, les multiples besoins doivent être satisfaits dans le cadre d’une gestion quantitative équilibrée, assurant aussi ceux des milieux aquatiques. Dans une perspective d’épisodes de sécheresse récurrents comme ceux connus actuellement, la pression s’accroît pour protéger les zones humides, favoriser la recharge des nappes phréatiques ou encore restaurer les habitats humides.
Une protection des zones de captage
Afin d’améliorer la gestion de la ressource, les membres de la mission d’information préconisent une meilleure protection des zones de captage pour l’eau potable. « Il faut aller vers la protection des zones de captage d’ici dix ans compte tenu de la montée en puissance des métabolites », a souligné Hervé Gillé.
Pour les fuites d’eau, doubler les moyens du plan EAU
Pour la mission, l’objectif d’un rendement des réseaux de 85 % d’ici cinq à six ans peut être attendu. « Nous ne pourrons pas dépasser les 90-92 %, ce serait trop lourd financièrement », ont-ils prévenu. Mais la mission souligne que les moyens nécessaires pour « agir plus vite et plus fort » sont plus importants que les 475 millions du plan « EAU ». Il faut plus de moyens pour aller vers des trajectoires plus performantes. «Plusieurs milliards seront nécessaires sur le renouvellement des réseaux fuyants et il faut doubler les moyens du plan EAU ».
Mais aussi valoriser les politiques vertueuses
Pour récompenser les services d’eau et d’assainissement performants, une forte modulation des redevances serait à installer selon les taux de fuite ou les taux de non-conformités des rejets des stations et récompenser ainsi les bonnes pratiques.
Avec une tarification progressive
La mission propose également d’encourager les usagers à faire des économies, avec une tarification progressive, couplée à une tarification sociale pour les plus modestes, de la même manière que l’UFC QUE CHOISIR 28. Si l’incitation concerne les services d’eau et d’assainissement, elle peut concerner aussi directement les usagers de l’eau à travers une tarification incitant à la sobriété rappelle la mission dans son rapport.
Le rapport précise « la mesure n° 43 du Plan eau suit cette voie timidement, en renvoyant d’éventuelles recommandations aux travaux du Conseil économique, social et environnemental (CESE). »
Une augmentation des moyens financiers des agences de l’eau
Les sénateurs indiquent également qu’il faudra augmenter le niveau des redevances et revisiter le « principe pollueur-payeur de manière judicieuse pour améliorer les rentrées financières ».
Au passage, ils demandent à l’Etat de supprimer dès 2023, les reversements à l’Etat des fonds des agences de bassin afin d’accroître les financements des projets liés à l’eau. Tout simplement donner « plus de moyens pour la politique de l’eau ».
Une redevance- pollution pour les médicaments et les cosmétiques
La mission met aussi en avant la situation de la pollution des cours d’eau et des nappes en lien avec les produits de type médicamenteux ou encore les cosmétiques. A cet égard, elle préconise la mise en place « d’une participation de solidarité afin de ne pas laisser les consommateurs payer à eux seuls 90% du traitement de ces pollutions ».
Accompagner la sobriété par des politiques contractuelles.
Il s’agit de passer des contrats d’engagements réciproques à l’échelle des bassins et des sous-bassins et d’impliquer tous les acteurs dans ces démarches : industriels, agriculteurs, mais également syndicats d’eau. « Il faut embarquer tout le monde sur ce chemin », a insisté Hervé Gillé.
Accompagner les projets d’amélioration des pratiques agricoles
Prenant comme exemple, les améliorations à apporter aux systèmes d’irrigation qui peuvent permettre jusqu’à 40% de réduction d’économie d’eau, la mission préconise aussi d’accompagner ces démarches depuis la recherche des solutions performantes et leur développement, jusqu’à leur mise en place. Sur ce sujet, aux yeux des sénateurs, il semble indispensable d’associer l’Europe, l’Etat et les Régions pour permettre une évolution progressive à la fois des pratiques agricoles et du marché économique dans lequel s’insère l’agriculture.
Une meilleure connaissance des prélèvements et des nappes. a mission a mis en avant l’importance de la connaissance sur la ressource en eau disponible et les prélèvements. « Nous ne pourrons pas aller vers des politiques d’engagement si nous ne maîtrisons pas mieux les données sur les prélèvements et la ressource, a indiqué Hervé Gillé. « C’est indispensable avant de discuter de la redistribution. »
La mission préconise aussi « d’effectuer un comptage en temps réel des prélèvements d’eau destinés à l’eau potable et à l’irrigation agricole, ce qui implique l’installation de compteurs communicants.
Pour la mission, il faut aussi renforcer la connaissance par le BRGM du fonctionnement des nappes, en priorisant la vingtaine de nappes exploitées dans des secteurs en tension.
Un lien plus étroit avec les documents d’urbanisme
La mission recommande une meilleure prise en compte de l’eau dans les documents d’urbanisme (Schéma Régional d’Aménagement de Développement Durable et d’Egalité des Territoires porté par le Conseil régional et le Schéma de Cohérence Territoriale porté par les intercommunalités de type communautés ), soumis à avis des Comités de bassin et des Commissions Locales de l’Eau.
Une meilleure articulation des acteurs au sein des différentes instances
Elle propose de conforter la place du Comité national de l’eau (CNE) en lui donnant des missions d’expertise propre et de médiation, de développer la fonction de médiation des Comités de bassin, de créer des commissions locales de l’eau (CLE) dans chaque sous-bassin et de leur permettre l’adoption de SAGE de préfiguration dotés d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs contraignants.
(Le schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) est un outil de planification, institué par la loi sur l’eau de 1992, visant la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau.)
Mieux associer les citoyens et les élus
Le citoyen demeure faiblement informé de l’étendue de la construction technico-administrative entourant la gestion du petit cycle de l’eau : le « miracle de l’eau du robinet » reste difficile à percer et la facture d’eau difficile à déchiffrer. Les associations d’usagers demeurent, quant à elles, sous-représentées au sein des CLE note la mission.
Les élus locaux sont trop souvent dépossédés des termes du débat et n’interviennent bien souvent qu’en bout de chaîne, pour valider formellement des orientations dessinées par les techniciens est-il encore souligné.
Les retenues agricoles (appelées« bassines »)
La question des retenues à usage agricole a été également abordée par la mission d’information et Hervé GILLE est revenu sur cette question lors de la conférence de presse organisée le 12 juillet dernier au Sénat.( Prenez connaissance ICI de l’article consacré par Francebleu.fr présentant la réponse des sénateurs sur ce thème précis.)
Les sénateurs rappellent plusieurs principes qui leur semblent indispensables autour du thème de ces retenues agricoles :
– La question indispensable de la concertation locale autour de la gestion de l’eau et des usages, dans le cadre d’un outil désormais bien connu, le PTGE.
– La judiciarisation croissante des projets, avec des délais de jugements finaux peu compatibles avec la sécurisation des porteurs de projet.
– Le rôle primordial des élus locaux dans l’animation de la concertation et dans le soutien, ou non, aux projets de réserves.
– L’importance des études d’impact des projets d’ouvrages et plus précisément de l’analyse de l’état des ouvrages de stockage d’eau préexistants sur un territoire.
– Le rôle central des pouvoirs publics dans l’accompagnement du dialogue local, dans la régulation des tensions, et dans le nécessaire maintien de l’ordre républicain sur les territoires.
Les 53 propositions de la mission sont à consulter ICI
Et un document de synthèse L’ESSENTIEL SUR « a été édité par le Sénat, à télécharger ICI
Pour aller plus loin, une vidéo